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26 août 2020

Time 10 minutes

Sylvain Angers, un capitaine qui tient bon la barre

Sylvain Angers, un capitaine qui tient bon la barre

Quand on rejoint Sylvain Angers sur le quai du Vieux-Port de Montréal, il fait un temps idéal pour une sortie sur le fleuve. Ça tombe bien, Petit Navire «navigue sur les flots» tout l’été et ce jusqu’à octobre, si la météo le permet. «Bien sûr, nous avons subi de plein fouet l’impact de la pandémie et le manque de touristes étrangers. On opère à petite dose, mais on opère, parce qu’on est les seuls ouverts dans notre domaine» explique le fondateur de cette petite entreprise d’embarcations électriques, toujours prêt à faire découvrir le fleuve aux visiteurs. Chiffres, dates, kilowatts, anecdotes, Sylvain Angers est un homme d’affaires, un inventeur, un capitaine, un livre d’histoire à lui tout seul et on l’a retrouvé pour en parler le temps d’une escapade sur le fleuve.

2020, l’année où on recalcule

«Quand on a pris la décision d’opérer cette année, honnêtement notre calcul de rentabilité tenait plus ou moins debout. Mais c’est notre 18e saison, on a toujours été à contre-courant et j’ai eu comme un déclic: si le phénomène est là pour rester, alors autant en apprendre un maximum. Je me suis dit que 2020 serait une année d’apprentissage, ouvrir en ce moment, c’est un investissement en quelque sorte.» Sylvain Angers est un pragmatique, un curieux, un homme sage qui n’en est pas à sa première tempête. Les touristes ne se précipitent pas en masse comme les années précédentes au Vieux-Port, mais il y a du monde, surtout les fins de semaine. «Ça va faire 34 ans que je travaille ici. Avant Petit Navire, j’étais chez AML. 2020 a apporté beaucoup de changements et de «jamais vu», mais je suis optimiste.»

Un navigateur de cartes et de plans

«Bien sûr, comme tout investissement, il faut le faire intelligemment, on a donc revu nos horaires d’ouverture, nous ne proposons plus de service de boissons en cours de croisière, sauf si le bateau est réservé pour un groupe spécifique et nous avons réduit notre capacité d’accueil pour satisfaire aux exigences de sécurité sanitaire, lance-t-il en manœuvrant le bateau qui nous emmène sur le Saint-Laurent. Par chance, nous avons un protocole d’opération assez simple. Nous allons en profiter pour accumuler des chiffres et des données sur la clientèle locale afin de les analyser cet hiver et préparer la suite sur une base concrète.» Pour Sylvain, la tendance d’un tourisme plus local et plus restreint sonne l’avènement de nouvelles façons de faire qu’il analyse déjà. «On va devoir se tourner vers un modèle où l’on va gérer moins de monde, mais mieux. Le qualitatif va augmenter, il faut juste rester vigilant à la rentabilité de nos activités» précise-t-il.

Vitesse de croisière électrique

«Depuis le lancement de la compagnie, globalement on a vu une croissance continue de notre clientèle. Bien sûr, l’écologie est de plus en plus au cœur des préoccupations citoyennes et à la mode alors c’est bon pour nous, mais je me tiens loin de ces arguments commerciaux» explique Sylvain Angers qui revient sur les débuts de son entreprise et l’aventure qui en a surpris beaucoup, il y a bientôt 20 ans. «Je venais d’avoir 40 ans, mon enfant en avait 3, j’étais en plein questionnement et habité par l’idée que «simple is beautiful». J’ai amorcé ma reconversion professionnelle et je cherchais quelque chose qui me ressemble vraiment. J’aimais l’eau, mais j’aimais aussi le silence, le calme. Le bruit et l’odeur du diesel, je n’étais plus capable. L’idée de l’électrique est arrivée dans l’essence même de Petit Navire pas seulement pour la planète comme telle, mais aussi pour ses habitants et nous, car ça offre un milieu de travail très qualitatif.»

Un capitaine ingénieux et bricoleur, inventeur et passionné

Quand on l’interroge sur ses jolies embarcations qui glissent avec douceur sur le Saint-Laurent, Sylvain Angers a de quoi être fier. «Il y a 17-18 ans quand je me suis lancé, il n’y avait rien de préfabriqué! J’ai fait venir des pièces du monde entier pour concevoir la propulsion. Je n’avais pas le droit à l’erreur et c’est encore la même technologie aujourd’hui! Dans le fond, je suis revenu à l’origine, car sur la Tamise, on trouvait déjà des bateaux électriques avant que le diesel ne prenne le dessus. Comme quoi plus ça change, plus c’est pareil!» s’exclame ce drôle de bâtisseur. «Tout est recyclé! La coque vient de bateaux de sauvetage fabriqué au Japon en 1976! Je pense que si j’avais été en Bretagne, j’aurais peut-être été davantage dans le neuf, avec les chantiers navals à proximité, mais ici, on n’a pas ça, alors je me suis adapté!» Rien ne semble arrêter ce rêveur scientifique. L’homme n’en est pas à un oxymore prêt, mais on le voit serein.

Soif d’apprendre et de transmettre

«Ce qui compte le plus pour moi, c’est que les gens repartent en ayant appris quelque chose. Architecture, histoire, marine, écologie, paysage... peu importe, pourvu qu’ils retiennent un détail nouveau, je suis content.» La petite embarcation continue de glisser sur l’eau et alors que l’on suit le parcours qu’il offre habituellement aux visiteurs, Sylvain tient à nous montrer la «collaboration» entre le fleuve et le bateau. «Là où finissent les rapides de Lachine, on voit bien qu’on ne peut pas remonter le courant, le Port est dans un espace abrité, on comprend pourquoi ils l’ont bâti ici. Et là, le bateau avance avec le courant qui, d’ailleurs, nous porte sur environ 20% de notre trajet. On ne peut pas lutter contre les éléments. Pour durer, il vaut mieux travailler avec.» C’est cette même curiosité qui l’a porté à obtenir la certification Carboneutre. «Comme citoyen, je pense qu’il y a des choses qu’on évalue mal, comme notre utilisation et nos dépenses d’énergie. Je voulais que l’on puisse s’en rendre compte. Cette certification demande de mesurer tout, du déplacement domicile-travail de nos employés à la gestion sur place. On a mis zéropollution.ca sur nos coques, parce que je voulais que ça interpelle, que ça ouvre la discussion éventuellement.»

Baroudeur des mers avant de conquérir le fleuve

«D’où ça me vient? À 10 ans déjà, j’adorais faire de la voile, puis je lisais les récits de voyage. Ça me passionnait! À 17 ans, j’ai quitté le Québec pour Terre-Neuve comme cadet, et j’ai adoré ça! À 20 ans, j’ai fait une école en gestion portuaire au Havre, en France. J’avais fait mes heures sur une expédition de Sea Shepherd. Je me souviens qu’on était parti d’Halifax en Nouvelle-Écosse, puis ensuite les Îles Féroé et l’Islande. Dix-huit jours en mer, pas d’eau chaude, on avançait à 3 noeuds... on tenait plus du radeau de la Méduse qu’autre chose! Au final, j’ai travaillé 4 mois avec eux. Puis ensuite AML.»

Derrière la barre, Sylvain a trouvé sa place. «Beaucoup d’étudiants qui entrent dans une école de marine ont de la famille dans le domaine et ça leur met beaucoup de pression. Mais ce qu’il te faut pour faire ces métiers-là, c’est de la passion. Tu ne peux pas faire les choses à moitié. Sur un bateau, tu t’en occupes plus que de toi-même parce que s’il y a un problème, tu as un problème! souligne Sylvain Angers. L’eau devient ton environnement de travail, tu dois composer avec les éléments; je pense qu’on développe un certain respect. De la même façon, quand on utilise l’énergie électrique, on apprend à gérer ce dont on dispose.»

Un Vieux-loup du Vieux-Port

«Je suis venu au Vieux-Port sur le Marie-Clarisse en 1983. C’était vraiment différent à l’époque, il y avait des silos, des barges avec du sables dessus, des gens jouaient de la musique, d’autres les écoutaient en buvant de la bière. Puis, avec le 350e anniversaire de Montréal, on a vu une volonté de la ville de changer les choses. Les aménagements et espaces verts ont commencé, le Vieux-Port est devenu plus agréable à vivre.» explique celui qui n’aurait pas pu ouvrir son entreprise touristique sans ce contexte de renouveau. «Le Vieux-Port a longtemps été un environnement assez austère, plutôt industriel. Il y avait juste un gros bloc de 7 mètres de haut pour protéger la ville et des silos. Les peupliers sur le Quai de l’Horloge sont d’ailleurs là pour les rappeler. Pour l’anecdote, lance-t-il malicieusement, ils les changent tous les 10 ans et je vais bientôt voir la quatrième génération!»

Chacun sa place à quai...

«Dans le Vieux-Port, chacun a son créneau, tous les acteurs d’embarcations offrent des expériences différentes, donc tout le monde peut y trouver son compte» avance ce chef d’entreprise. «Un plus petit bateau comme nous peut paraître très proche de l’eau, mais certains préfèrent car ils n’auront pas le mal de mer.» Depuis le temps que ses embarcations naviguent et de par leur taille, il est certain que les coûts et la logistique de Petit Navire lui ont permis de s’ajuster rapidement au contexte incertain de cet été. «Qui plus est, nos bateaux offrent un environnement convivial et les gens sont de plus en plus habitués aux mesures restrictives, ça a beaucoup aidé. Pour le reste, on s’est adapté facilement.»

…et sur l’eau

«Les Montréalais ont une relation encore assez peu développée avec leur fleuve qui est resté très longtemps «industriel», comme je disais. Cela dit, je pense que le développement du kayak, du canoë, du yoga sur planche, sont autant d’activités qui ont permis un accès et un retour à l’eau pour beaucoup de Québécois restés ici cet été. Les gens ont redécouvert avec plaisir les plans d’eau du Québec.» souligne Sylvain qui habite aux abords du lac St-Louis et travaille sur le fleuve St-Laurent. Très au fait des enjeux, il semble néanmoins toujours optimiste. «Bien sûr, il y a de nombreux défis comme la gestions des eaux usées, la cohabitation des différentes activités économiques et de loisir, mais aujourd’hui, par exemple, le fleuve est à 25°C, il y a de la place pour tout le monde et il faut dire que c’est quand même très beau!» Depuis le bateau, la vue de la ville offre un camaïeu urbain de toits qui scintillent et émerveillent alors que de l’autre côté l’écrin de verdure du parc de Dieppe propose une luxuriance reposante. Le charme opère.

Un insatiable curieux, un éternel satisfait

«Dans le Vieux-Montréal, je m’y promène comme un touriste, tout change tellement vite! Avec ma conjointe, une fois par an, on se loue une chambre d’hôtel pour prendre le temps de redécouvrir le quartier historique. Bon, coupe-t-il amusé, je vais toujours chercher mon café au Aloha Espresso Bar, ça oui! Mais c’est ma seule habitude ici!» Pour être toujours aussi fébrile après bien du temps et des époques passés dans le quartier, Sylvain Angers se tient loin de toute routine. «Après 2 décennies, bien sûr que je continue d’apprendre de nouvelles choses! Chaque sortie est l’occasion d’apprendre! On ne répète pas comme un enregistrement, on raconte des anecdotes selon les intérêts du groupe qui est sur le bateau et on échange. J’ai beaucoup voyagé, je me lie facilement avec les gens et l’environnement convivial est propice pour jaser sur nos bateaux.» On n’a pas de peine à le croire. Le temps file et alors que l’on se dirige déjà vers le port, on termine cette balade fluviale envahi par un sentiment de calme. Dernière question au capitaine. «L’eau? C’est mon horizon! confie-t-il, Ça m’apporte de la quiétude et le recul nécessaire dans la vie.»

© Crédit Photos : Petit Navire