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18 mai 2020

Time 8 minutes

Jean-François Royal, l’homme derrière l’actuelle Marguerite Bourgeoys

Jean-François Royal, l’homme derrière l’actuelle Marguerite Bourgeoys

«La nouvelle vision? Oui, on est en train de la mettre en place. Pas aussi vite que je voudrais peut-être, mais ça se fait.» Le microcosme de Montréal implique beaucoup de consultations et de cohabitations entre plusieurs services. «On met des échelons pour réaliser nos projets au mieux». Celui qui a laissé son poste de directeur du Musée des religions de Nicolet est revenu dans le Vieux-Montréal à l’automne 2018 par la grande porte, avec un aplomb et une réputation qui le précèdent.

Partir pour mieux revenir

Après 15 ans d’absence dans le Vieux-Montréal - il avait travaillé une journée par semaine à Marguerite Bourgeoys quand il était aussi au Château Ramezay - il est de retour, ravi. «Le quartier est magnifique! Il y a un effort au-dessus de moi, au niveau du quartier, pour attirer les gens dans le Vieux-Montréal et l’embellir. À moi ensuite de les attirer pour qu’ils viennent chez nous.» Proactif et débordant d’idées, Jean-François est l’homme derrière le récent changement d’identité du complexe: le musée Marguerite-Bourgeoys et la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours sont désormais «Le site historique Marguerite-Bourgeoys».

Créer / provoquer un espace de discussion

«Le musée est un endroit où on peut débattre de sujets de société. Marguerite Bourgeoys, en ce sens, est un personnage historique qui a touché une pléiade de thèmes (l’immigration et l’apport des immigrants dans la société d’accueil, le rôle de l’éducation, la place de la femme - il y a des personnages féminins primordiaux dans l’histoire!) Le musée doit provoquer une réflexion, de la colère parfois, mais surtout des questionnements. Si c’est ce qui se passe avec notre musée, je sens que j’ai fait mon travail.» Il explique encore. «On a mené un sondage l’été passé: 25% de notre clientèle, c’est du tourisme religieux; ça vaut la peine d’explorer cette avenue. Mais 75% sont entrés au musée par hasard, parce qu’ils trouvaient la chapelle charmante. On a décidé d’exploiter ça et aujourd’hui, on propose une production muséale moderne, contemporaine et audacieuse».

Changer pour mieux rester

Controversé, peut-être, mais il a l’habitude. Pour sûr, investi d’une mission qu’on lui a confiée, il compte la mener à bien avec son équipe. «On m’a embauché pour gérer un site. C’est ce que je fais. Pour ce qui est du nom, un cri d’alarme avait été lancé, le processus était enclenché, le monde à l’interne était prêt pour le changement et on a fait un exercice de détermination, de qui nous sommes réellement. Il en est ressorti que Marguerite Bourgeoys restait notre essence et elle devait rester dans l’appellation. Ensuite, il y avait le côté héritage qu’on a tenu à conserver.»

Mettre toutes les chances de son côté

«Marguerite Bourgeoys, ça ne dit rien aux touristes étrangers et pas grand-chose aux Québécois non plus. On a décidé d’axer le tout sur qui elle était vraiment, c’est-à-dire une entrepreneure, une visionnaire et une femme qui avait une idée assez révolutionnaire de l’éducation. Créer une communauté de femmes non-cloîtrées au XVII en France, ça n’était pas possible, c’est ici qu’elle l’a fait!»

S’adapter, comme Marguerite

Devant la mise en place de beaux projets et la refonte de l’identité du site, toute l’équipe était déçue de ne pas pouvoir ouvrir, comme prévu, à ses voisins d’abord lors de la soirée 5@7 Gens du Vieux, mais aux touristes aussi. Confinement oblige, tout le monde travaille à distance. «L’équipe s’est adaptée, assure Jean-François Royal. Tout le monde s’est adapté. C’est certain que c’est décevant, mais ce sont des éléments qu’on ne contrôle pas.» En tant que directeur, il montre l’exemple. «Ça ne sert à rien d’être en colère ou déçu. J’ai moi-même un niveau de résilience très élevé. On sera le premier musée à faire un vernissage non conventionnel, voilà tout! Let’s go!»

Sécuriser la nouvelle marque

Pour ce qui est des belles initiatives qu’ils avaient commencé à mettre en place, comme les Bouquinistes, ils ont cherché comment lancer l’événement malgré les contraintes du confinement. «Line, responsable des communications et de l’action culturelle, a eu cette idée géniale de proposer un prix unique pour un livre-surprise qu’on choisit selon les intérêts que les gens nous indiquent. C’est une belle façon de créer un cadeau et de perpétuer la mission éducative de Marguerite Bourgeoys», souligne Jean-François Royal qui avoue avoir hâte de découvrir l’exemplaire surprise qui l’attend dans son bureau! «J’ai demandé un roman québécois. En général, j’aime les romans de science-fiction. Isaac Asimov, Orwell; j’aime cet univers, ça me rend nostalgique - il éclate de rire, d’un rire sonore -, j’ai toujours aimé les mondes fantastiques.»

Les soirées méditation, la découverte du quartier par une photographe qui donne ses meilleurs angles photos sont autant de belles activités repoussées, «mais ça va bouger», insiste Jean-François.

Maintenir la vocation de la Chapelle

«On gère toujours la chapelle, et c’est un aspect non négligeable, mais on était rendu là: unifier les deux entités en une seule», explique Jean-François Royal qui se veut rassurant quant à l’ancrage et la mission de la chapelle, voisine de l’Accueil Bonneau. «Le changement de nom n’a pas d’effet sur le rôle de la chapelle. Les gars de l’Accueil Bonneau viennent y trouver refuge, chaleur et réconfort, davantage l’hiver que l’été d’ailleurs. Pour nous, c’est une cohabitation faite, assumée. La Chapelle doit rester un lieu de refuge pour les gens du quartier, mais aussi pour les Montréalais en général. Commémorations, vie culturelle, sociale, religieuse; ça fait partie de son essence.»

Dépoussiérer l’image, libérer l’histoire

«Ma plus grande surprise depuis que j’ai pris mon poste, c’est peut-être d’avoir vraiment découvert Marguerite Bourgeoys. Je la voyais de façon stéréotypée, une religieuse prêcheuse, mais pas du tout! C’était une femme d’action, une femme moderne qui se questionnait et qui questionnait son rôle, sa place dans la religion. Il ne faut pas oublier à l’époque la montée du protestantisme en Europe, il y avait l’émergence d’une nouvelle chrétienté et elle voulait y prendre une part active! Souvent, pour les Saint(e)s, on parle qu’ils ou elles ont eu des visions, mais pas Marguerite Bourgeoys. Elle a vu une statue de la Vierge Marie, elle a été touchée - selon ses écrits -, et elle a décidé de s’en inspirer pour mener sa propre vie. That’s it. Marguerite Bourgeoys, c’était une femme pragmatique.»

Repenser le nom et l’expérience muséale

Pour la nouvelle identité, le parcours a été complètement repensé. La célèbre collection de poupées qui dataient des années 60 a été remplacée. Tout s’est modernisé pour mettre en avant l’audace, le courage et le dynamisme de Marguerite Bourgeoys avec un tour résolument plus moderne et plus facile à connecter. «Osez Marguerite s’est développé autour du concept que c’était une femme entrepreneure, pas une religieuse. Elle avait comme projet d’aider son prochain, mais son héritage se résume en une phrase: «il faut aller là où il y a des besoins.» Le nouveau parcours est organisé autour de verbe d’action: oser, éduquer, organiser, car c’est ce qui la représente le mieux.»

Placer l’humain au coeur

«Je suis peut-être un dinosaure, mais pour moi, la médiation culturelle humaine est la meilleure. La Chapelle, par exemple, est à échelle humaine: on en a une meilleure expérience en personne. Le virtuel, c’est bien, mais ça manque d’authenticité, de ressenti», confie le directeur avant de s’exclamer: «D’ailleurs, je ne veux pas dévoiler le punch, mais la dernière salle est vraiment... surprenante! On présente un diaporama et autant se le dire, on fait un statement! La Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours est LE bâtiment le plus photographié et dessiné dans l’histoire de Montréal. Bah quoi?! lance-t-il rieur, c’est un des premiers qui a été bâti, alors on a de l’avance sur les autres!»

L’anniversaire de Montréal, #historiquementrésilient

On célèbre le 400e anniversaire de Marguerite Bourgeoys cette année, le 378e anniversaire de Montréal, et «oui, c’est une cofondatrice de Montréal, dans le sens où elle a participé au développement de Montréal et elle avait ce projet fou de construire une chapelle. Un projet qu’elle a réalisé!» Le musée abrite une oeuvre dont l’histoire parle aussi de pandémie, d’histoire, de rémission, de résilience. Alors qu’il se remet du typhus, dont l’épidémie venue avec les immigrants irlandais fuyant la famine dans leur pays dévastait Montréal, l’évêque Bourget réalise les trois vœux qu’il avait adressé à la Vierge dans la Pastorale au sujet de l’épidémie de 1847:

- Promouvoir le pèlerinage de Notre-Dame-de-Bonsecours ;

- Remplacer la statue donnée à Marguerite Bourgeoys par Facamp, qui avait été dérobée en 1831 ;

- Et faire peindre, et exposer dans la chapelle «en ex-voto un tableau représentant le Typhus cherchant à entrer dans cette ville, mais arrêtée à la porte par votre [celle de la Vierge] puissante protection.».

Une belle opportunité à l’occasion des 378 printemps de Montréal de se rappeler ce passé parfois houleux et difficile, mais duquel les Montréalais ont su tirer leur épingle du jeu et se lancer sans cesse dans de nouveaux défis, ensemble et solidaires.




Crédit photo et tableau:

Photographie 1 : Jean-François Royal, crédit photo Mathieu Rivard

Le Typhus, Attribué à Théophile Hamel, v.1848

Collections du Site historique Marguerite-Bourgeoys

Photographie 2 : Normand Rajotte

Photographie 3 : Chapelle Notre-Dame de Bonsecours, crédit photo Ariane Giraldeau